
Le titre de cet article aurait aussi pu être “pourquoi l’expression “elle a fait un postpartum” ne veut rien dire”. Car dépression postpartum et postpartum sont deux termes souvent amalgamés ! Alors que la dépression postpartum est un trouble psychique qui s’inscrit dans le temps long de l’après naissance, un temps long commun à toutes les femmes et que la médecine appelle “postpartum”.
Dans cette mue entre l’attente d’un enfant et sa venue au monde, peut s’installer dans la vie d’une femme un état de mal-être qui perturbe profondément sa santé physique et psychique, le lien à son bébé et l’équilibre familial. Comment bien vivre le post-partum et prévenir ses difficultés ? Apprenons à faire la différence entre une période post-natale normale et le risque pathologique qu’elle peut abriter.
Devenir mère s’accompagne de bouleversements physiques et psychiques qui commencent dès la grossesse. La naissance marque l’entrée dans une période nommée « post-partum » qui démarre à la délivrance du placenta et se termine autour des 3 ans de l’enfant.
Elle se caractérise par différentes étapes liées aux modifications physiologiques du corps de la femme (lochies, réduction progressive de la taille de l’utérus, montées de lait, éventuelle perte de cheveux…) et les grands stades de développement du bébé.
Durant 36 mois, la femme et son enfant vont ainsi tisser les bases de leur lien affectif mutuel dans un contexte très spécifique et parfois éprouvant.
Le post-partum est une phase d’autant plus sensible qu’elle constitue un cycle majeur au cœur de l’expérience maternelle. Aux changements du corps peuvent s’ajouter des perturbations émotionnelles modérées à fortes. Elles sont susceptibles d’apparaître dans les jours qui suivent l’accouchement et se manifester tout au long de ces trois premières années ensemble. Il est possible de s’y préparer pour éviter qu’elles ne deviennent envahissantes. Il est également à la portée de l’entourage de les anticiper afin de soutenir la femme et son enfant à les traverser sereinement.
« L’accouchement est une période stressante pour n’importe qui » annonce d’emblée le pédopsychiatre Jacques Dayan. Pour la femme, quel que soit le mode d’accouchement, mettre au monde un enfant entraine des douleurs plus ou moins invalidantes, de la fatigue, une labilité émotionnelle et une perte de repères, tant dans son rapport à son corps qu’au niveau de ses pensées.
Même lorsqu’elle est désirée, la maternité passe très souvent par ce déséquilibre global et naturel qui marque la naissance d’un enfant mais aussi celle d’une nouvelle femme. Ces troubles s’expliqueraient en partie par la chute hormonale que subit l’organisme et le temps nécessaire à ce dernier pour retrouver son équilibre. Les ressentis y sont particulièrement à vif. Pleurs, anxiété, remise en question de ses capacités à faire face à son rôle de mère…on parle volontiers de « baby blues » pour désigner cet épisode de crise existentielle qui apparaît en général trois jours après la naissance et disparaît après dix jours environ. Il touche 50% des femmes qui viennent d’accoucher.
« Dans le blues, il y a une altération de l’humeur qui peut être assez intense, de quelques heures à quelques jours. Au minimum, il y a des pleurs, y compris des pleurs de joie. C’est un mélange de symptômes dépressifs et d’exaltation », décrit Jacques Dayan, auteur de nombreux ouvrages de référence sur la psychologie du post-partum et intervenant dans les formations du Mois d’Or.
Si ce réglage transitoire et courant disparaît de lui-même, la dépression post-partum, elle, se définit comme une maladie qui s’installe dans la durée. Elle toucherait 30% des mères* (dont 5% seulement bénéficient d’un diagnostic) et nécessite une aide pluri-disciplinaire.
« J’ai senti que ça n’allait pas au bout de trois mois quand j’ai repris le travail. C’est le fait de sortir de mon quotidien avec mon bébé qui m’a permis de m’en rendre compte. Je pensais que le problème, c’était mon travail et je me disais que si je trouvais un travail qui me convenait, ça irait mieux mais ça n’avait rien à voir. A la maison, j’étais extrêmement triste, très en colère, je ne dormais plus, j’avais l’angoisse permanente que ma fille meurt. J’ai ressenti pour elle un amour immédiat si puissant que cela a fait remonter beaucoup d’incompréhensions vis-à-vis de mon enfance compliquée avec de la maltraitance », raconte Chloé qui a co-écrit Dépression post-partum, la face cachée de la maternité.
« J’insiste sur le fait que j’ai aimé ma fille tout de suite, extrêmement fort, parce qu’on montre souvent la dépression post-partum comme un trouble du lien mère-enfant avec des femmes qui ont du mal à aimer leur bébé mais l’amour peut aussi conduire à la maladie ». Les principaux symptômes de la dépression post-partum s’axent autour de l’angoisse, parfois avec des phobies d’impulsion, et un sentiment d’épuisement renforcé par l’hypervigilance permanente vis à vis du tout petit.
La femme qui souffre de dépression post-partum éprouve des difficultés à ressentir de la joie quand elle s’occupe de son enfant et dans sa relation avec lui. Elle continue de fonctionner en apparence normalement bien que ses soins envers l’enfant se robotisent. Elle ne prend plus plaisir dans les activités qu’elle aimait auparavant.
« De temps en temps, cela prend une forme plus sévère avec des idées suicidaires, un sentiment d’impasse totale, une dévalorisation de soi et de la culpabilité » décrit Jacques Dayan.
La dépression post-partum agit comme un écroulement de l’élan vital. « On n’a plus envie de rien » ajoute le pédopsychiatre avant de détailler : « On peut distinguer une dépression anxieuse, irritable, dans laquelle la femme est agressive avec son enfant et les gens qu’elle aime et une dépression plus inhibée avec un repli sur soi ». Appelée aussi « dépression souriante », cette affection subit de plein fouet une pression sociale qui voudrait que la maternité soit uniquement synonyme de bonheur, ce qui ne facilite ni son diagnostic, ni son traitement. « Il m’arrive souvent de recevoir des femmes qui font bonne figure, donc le conjoint ne voit rien ou pas grand-chose, mais quand on les interroge on découvre qu’elles pleurent tous les jours ». A la souffrance de la dépression s’ajoute alors celle de ne pas pouvoir appeler à l’aide.
Pourquoi est-ce si difficile d’en parler ? lancent Chloé Bédouet et Elise Marcende dans ce livre essentiel paru en 2022, Dépression post-partum, la face cachée de la maternité. Malgré le chemin d’émancipation parcouru par les femmes pour décider du moment qui leur convient pour avoir un enfant et de leur envie ou non de devenir mère, la maternité reste entourée d’attentes personnelles, sociétales et familiales, conscientes ou inconscientes. Dans l’imaginaire collectif, la maternité demeure une étape incontournable dans la vie d’une femme et l’aboutissement d’une vie accomplie.
Au pire est-elle vue comme une « aventure », jamais comme une épreuve. Entre le fantasme et la réalité, se love alors un malentendu catastrophique qui met en péril la santé psychique des femmes et des filles. « La pression et les exigences de la société ne sont pas moins fortes aujourd’hui qu’il y a 50 ans », affirme Chloé Bédouet. Malgré le chemin d’émancipation parcouru par les femmes elles-mêmes, la pression intériorisée continue de peser sur elles. La dépression post-partum en est l’expression.
Comme il existe une pression à faire des enfants, il existe une pression à ne rien montrer de sa souffrance maternelle, une fois que l’enfant est là. « On observe une idéalisation inappropriée de la maternité selon laquelle rien ne la dépasse, explique Jacques Dayan, une forme de résistance idéologique des pays d’Europe du sud d’influence catholique », à l’inverse des cultures protestantes (Grande-Bretagne, pays nordiques, Pays-Bas) où le regard porté sur la réalité post-accouchement est beaucoup plus pragmatique. C’est d’ailleurs là que l’on trouve l’origine des figures comme la doula ou la kraamzorg.
« On observe une idéalisation inappropriée de la maternité »
Jacques Dayan
Pour le spécialiste, la maladie n’obéit à aucune cause biologique mais des aspects dans l’histoire personnelle de la femme peuvent compter. « Les carences et les traumatismes de l’enfance sont un facteur de vulnérabilité mais pas une cause. Des antécédents de dépression à l’adolescence ou l’entrée dans l’âge adulte sont aussi assez souvent retrouvés mais ils ne sont pas nécessaires et suffisants. Il peut y avoir une réactivation de conflits internes non résolus, qui réapparaissent au moment de devenir mère », souligne le psychothérapeute.
D’autres facteurs sont aggravants comme le manque de soutien et l’isolant social mais, là encore, ils n’expliquent pas tout. « La PMA fait aussi partie des facteurs de risques, ajoute Chloé Bédouet. Cet enfant on l’a tellement attendu qu’on a eu plus de temps pour l’idéaliser. La désillusion peut être d’autant plus grande et on a d’autant moins de raisons de se plaindre que les autres ».
Entre injonctions, projections, poids des représentations et vécu intime, la dépression post-partum reste une maladie complexe dont on ignore les causes exactes et qui, dans tous les cas, doit être considérée.
« En France, on a un gros problème avec la santé mentale et la vision que l’on a des troubles psychiques qui font très peurs à cause de l’image de l’asile de fous, pose Chloé. La dépression post-partum est mal perçue simplement parce qu’elle est moins connue». Y compris par le corps médical : « je me souviens de cette psy à qui j’ai dit avoir pensé à me tuer et qui m’a répondu que si j’étais vraiment en dépression, je serais au fond de mon lit et pas devant elle », se souvient Chloé. Commencer par informer les femmes de la possibilité de traverser des symptômes dépressifs après la naissance d’un enfant devrait être systématique. « C’est OK d’avoir envie de jeter son bébé contre le mur parce que personne n’est capable de supporter des pleurs pendant 5 heures. Il faut juste ne pas le faire ! ».
Rappelons que le suicide est la 2ème cause de mortalité maternelle avant 43 jours de post-partum. Des solutions existent pour permettre de déposer sa souffrance et trouver des solutions pratiques. Interlocutrices privilégiées des mères, les sages-femmes apportent un accompagnement global des soins de cicatrisation, à l’allaitement en passant par une écoute psychologique. Le Programme d’Accompagnement de Retour à Domicile (PRADO) peut être mis en place 24 heures après la sortie de la maternité. Il permet de bénéficier de la visite à domicile de la sage-femme libérale de son choix, dont les services sont pris en charge à 100% par l’Assurance Maladie. La Protection Maternelle et Infantile (PMI) offre un accompagnement post-natal médical, psychologique et socio-éducatif ainsi que des consultations pédiatriques gratuites jusqu’aux 6 ans de l’enfant. On trouve ces centres dans tous les départements de France. Techniciennes d’intervention sociale et familiales (TISF), unités mère-enfant ou unités parents-bébés au sein de services de psychiatrie infanto-juvénile, psychologue, psychiatre, gynécologue, médecin généraliste… les femmes doivent savoir que ces points d’accueil existent et que leur parole y sera entendue.
« Combien de femmes n’osent pas parler de peur qu’on leur retire leur bébé ? rapporte Chloé, qui rappelle aussi « que la dépression post-partum a une durée de vie de 18 mois mais, si elle n’est pas prise en charge, elle reviendra lors d’une grossesse suivante ou sous forme d’un burn out ». La pratique du Mois d’Or repose sur le soutien physique et émotionnel de la mère dès la naissance et durant les 40 jours qui suivent. Les livres dédiés au Mois d’Or donnent des conseils précieux pour contribuer au bien-être de la mère et du père et prévenir la difficulté maternelle et parentale dont la dépression post-partum, sans toutefois représenter une solution unique et exhaustive à celle-ci car la maladie exige avant tout un suivi médical.
La formation “Le Mois d’Or pour les pros” constitue également un apport d’informations pour les professionnels de la périnatalité (sages-femmes, psychologues… qui souhaitent
Proposé dans le cadre du dispositif des 1000 premiers jours mis en place par le gouvernement pour les parents et les futurs parents, l’inventaire de dépression post-natale d’Edimbourg est un questionnaire disponible en ligne pour auto-évaluer son bien-être émotionnel en quelques minutes. Retrouvez-le ainsi que de multiples ressources pour soulager les mères en souffrance sur des sites de confiance tels que www.maman-blues.fr. Vous pouvez aussi suivre des comptes Insta qui libèrent la parole : @depression_post_partum et @maternite_etc @postpartum_tamere.
Chloé Bedouet interviendra le 15 janvier 2024 par Zoom sur le thème “Dans les coulisses de la dépression post-partum“.
La dépression post-partum, c’est :
La dépression post-partum, ce n’est pas :